Journal d’une Camgirl #308 – Chocolat suisse et chili vegan

Précédemment dans le journal d’une camgirl : ces derniers mois ont été riches en activités diverses, mais pauvres en shows webcam, donc pauvres tout court. Je continue d’avancer dans mes projets très (trop) nombreux, mais avec la sensation de faire quelque chose qui me plaît enfin.

J’ai reçu dans mes mails une demande inédite. Une jeune femme de l’association féministe intersectionnelle de Sciences-Po Toulouse a contacté Stephen au Tag Parfait afin de mettre en place une conférence sur la pornographie dans le cadre de la Queer Week. Seulement, Stephen pensait (à raison) qu’il serait plus logique que ce soit moi qui participe, en tant que femme bisexuelle, et l’a donc renvoyée vers moi. Elle m’invite donc à intervenir dans les locaux de l’école de Paris, en mars. J’ai tout de suite eu envie de dire oui évidemment. Outre le prestige du cadre (et là je parle autant de Sciences Po que de la Queer Week entendons-nous bien), c’est quelque chose que j’ai toujours voulu essayer. J’ai assisté à quelques conférences et prises de paroles aussi bien à Berlin, qu’à Montpellier et je les ai trouvées passionnantes.

Je ne sais pas si je serais à la hauteur cependant. Et ça me fait encore un aller-retour à Paris alors que je dois déjà être à Lausanne quelques jours avant… Enfin de toute façon je dois y aller pour commencer le travail de tournage sur le documentaire alors dans un accès de folie, j’accepte. Immédiatement, je ressens l’envie d’en parler à mes parents. Un documentaire, une conférence… je suis en train de faire des trucs géniaux là et ils ne le savent pas. J’ai pris la décision de leur écrire un mail pour tout leur dire. J’y passe plusieurs heures. Il est si long… Cependant, je décide de ne pas l’envoyer tout de suite étant donné que je vais m’absenter un moment, je ne me vois pas leur balancer le mail et pas être disponible pour leurs éventuelles questions. Et puis, je me rends compte que simplement l’écrire m’a déjà fait beaucoup de bien. Je préviens mon chéri que je dirai tout à mes parents en rentrant du reportage en Suisse. Il n’a pas l’air ravi.

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Après des cours et des ateliers passionnants à la fac, une grosse période de rush au travail et un week-end d’énorme fête avec mes potes à Lyon, puis je me prépare à partir à la Fête du Slip. Car oui, après avoir assisté à deux festivals, je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter en si bon chemin. J’ai adoré faire les reportages sur les réseaux sociaux dans les deux précédents événements, avoir l’occasion de regarder plein de porno intéressant et rencontrer des personnes si géniales. J’ai demandé sur Twitter qui pouvait m’héberger pour voyager à peu de frais (car je travaille toujours à mi-temps et que j’ai fait très peu de shows webcam dans les derniers mois). J’ai aussi envoyé quelques mails pour prévenir que je venais couvrir l’événement, dont un à Vex Ashley de Four Chambers qui doit venir présenter deux films, que j’avais eu la chance de rencontrer à Berlin.

Me voilà bientôt dans l’avion pour Genève, puis dans un train qui longe le lac Léman jusqu’à Lausanne où je suis reçue chez un lecteur du Tag et de mon blog.

Je suis super en avance cette fois, je voulais arriver un jour avant pour être prête, repérer les lieux, bien charger mon portable, ma batterie externe, dormir. Bref, je suis au taquet. Le vendredi matin, j’ai reçu un petit message auquel je ne m’attendais pas sur mon Whatsapp,

Je suis si contente d’avoir de ses nouvelles, je pensais que mon mail s’était perdu dans la masse de tout ce qu’elle doit recevoir ! Je suis tellement pressée de la retrouver que je suis partie bien trop en avance pour le lieu où se déroule le festival. Au moins, j’ai eu le temps de parler avec l’équipe et de rencontrer ceux que je ne connaissais pas déjà. J’ai l’impression que tout le monde est super heureux et que l’ambiance va être folle. Je commence mon reportage sur Snapchat. Tout est au top.

Enfin, elle est arrivée. J’ai reconnu ses cheveux gris au loin, et je me suis précipitée pour aller à sa rencontre. Elle m’a prise dans ses bras et m’a dit qu’elle était contente de me revoir, que mes cheveux étaient beaux en rose. Mais, Vex me fait des compliments, wow, sérieux ? Elle m’a dit qu’elle était ravie que je sois là car elle ne parlait pas un mot de Français et que je serais la guide parfaite pour le week-end. On commence à faire des plans pour la soirée et à regarder quels spectacles et séances on irait voir, tout en gérant le fait qu’elle doit donner des interviews et que moi je dois en faire. En sortant des toilettes où on a déjà fait des selfies devant le miroir, on tombe sur deux de ses compatriotes et collègues du porn, Pandora Blake et Parker Marx. Elle est venue pour présenter un film et lui pour se faire des contacts. Je me présente à eux en tant que journaliste et je dis à Parker que j’aime beaucoup son travail et que je l’avais d’ailleurs mis en avant dans les révélations de l’année dernière sur le Tag Parfait.

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Les séances commencent, on se rend tous les quatre à une projection de courts-métrages porno et je les entends se raconter des anecdotes sur les tournages. Je suis plus que ravie d’être là en leur compagnie. On partage un moment ensemble puis je vais assister à des performances vivantes avec Vex et je passe la soirée avec elle à boire des bières, manger des arrancini, puis se raconter nos plans cul et nos anecdotes de camgirl. On rentre assez tard, mais on se donne rendez-vous le lendemain pour les croissants.

Pandora et Parker nous retrouvent vers midi, on s’installe pour manger avant le début de la deuxième journée. Les conversations sont incroyablement passionnantes. On parle de porno, de sexualité, de militantisme, le tout d’une façon très naturelle. On assiste ensuite à la réunion des professionnels du porn à laquelle je suis invitée. J’ai toujours un peu de mal à accepter que les gens me voient comme une professionnelle. J’ai l’impression de faire un peu n’importe quoi, d’être un peu en train de bidouiller et d’improviser… encore ce syndrome de l’imposteur que je me traîne depuis quelque temps déjà. À un moment, Parker s’absente et je le regarde s’éloigner en me mordant les lèvres. Je me rends compte un peu trop tard que Vex et Pandora m’ont complètement grillée et me fixent maintenant avec un grand sourire. J’ai rougi comme une tomate, aggravant mon cas : « Quoi ? Oui, ben… désolée, mais il est vraiment beaucoup trop beau ! » Elles rient et me taquinent. Je me sens aussi bien qu’avec des copines que j’aurais connu toute ma vie.

Je dois avouer qu’il m’est bien plus difficile de travailler qu’à Berlin. Je dois à chaque fois m’arracher à regret à mes conversations avec Vex pour aller à la rencontre des gens, essayer de parler avec les réalisateurs et perfomeurs présents. En plus aujourd’hui j’ai mis une tenue très décolletée, du coup je reçois des messages vraiment désobligeants sur Snapchat, et carrément des photos sexes en érection de parfaits inconnus, alors que j’essaie de parler des spectacles et des films intéressants qui sont projetés. C’est tellement décourageant ! Heureusement que je reçois aussi des questions et remarques de spectateurs réellement intéressés et ravis du compte rendu que je fais de l’événement. Oh, et puis tant pis, oui c’est décolleté et alors ? Ma lingerie est très jolie et ça m’a valu plein de compliments, dont un de Parker (j’ai encore rougi) donc je n’ai aucun regret.

L’après-midi passe rapidement. Vex et moi avons enchaîné quatre heures de projection porno (avec des pauses bières et selfies, rassurez-vous). On en sort à 18 h et, alors que je m’apprêtais à aller voir un spectacle de voguing pour continuer à travailler sur mon article, nous sommes tombées sur Pandora et Parker dans le lobby et nous avons commencé à discuter. Il a été finalement décidé qu’après la dernière interview programmée pour Vex, nous les rejoindrions pour manger du chili vegan dans leur Air B’n’B. Parker me laisse son numéro et leur adresse et j’attends Vex en discutant avec des gens.

Un camboy que je ne connaissais pas est venu spontanément me parler pour me dire qu’il aimait lire mon blog. Flore Cherry, du magazine Union aussi. Je suis un peu désarçonnée qu’on me reconnaisse. Je rencontre Lucie Blush, puis je revois Marianne Chargois du festival de Montpellier et je croise Angèle une spectatrice que j’avais déjà vue à Berlin également. KAy Garnellen, le performeur et activiste trans est là aussi. Décidément, tout ce petit monde est comme une famille qui se retrouve à chaque événement. Je suis vraiment trop contente d’être ici. Je me souviens avoir envoyé un message à Britney Fierce, pour lui dire qu’elle me manquait ce week-end et que oui, elle avait eu tellement raison à Berlin de me parler de Parker Marx, car il était intéressant et aimable et en effet totalement canon. Elle a répondu un simple et direct « Go for it !!!! » qui m’a fait pouffer et lever les yeux au ciel.

Quand Vex a eu terminé sa journée, nous avons filé en centre-ville pour notre dîner. Ce qui a suivi est probablement une des soirées les plus cool et cheloues de toute ma vie. Je suis à table avec trois performeurs et réalisateurs de la scène porno indé et on parle de tout et de rien, de nos vies, sans tabou, sans chichis. Chacun raconte ses anecdotes sexuelles les plus bizarres (clairement, les miennes semblent un peu fades pour le coup). Je me sens assez à l’aise pour parler de mon sentiment d’avoir toujours un peu eu « le cul entre deux chaises » (d’où le nom, hé oui, NDLR), avec mes attitudes qui pouvaient être très masculines et mon envie de femmes que j’interprétais comme quelque chose de très macho et qui me venait peut-être de mon éducation mexicaine. Un peu comme si j’avais un homme en moi qui parfois s’éveillait et avait envie de séduire. Ce sont des choses que je n’avais jamais partagées aussi facilement.

Pandora, Parker, Vex et moi dans un tout petit ascenseur

Le chili est délicieux, le vin est vite bu. On se met en route pour la soirée organisée par la Fête du Slip dans un ancien cinéma juste à côté. L’endroit est blindé et bruyant. Pendant que Pandora et Vex discutent avec Lilith Luxe, Parker s’assoit à côté de moi et nous poursuivons une conversation commencée plus tôt dans la journée. Je lui dis que j’ai plein d’idées qui me viennent souvent sur des pornos que j’aimerais faire, que je cherche en vain des partenaires pour faire du contenu vidéo sur ManyVids depuis quelques mois. J’ajoute même que j’ai envie de faire des choses en France car on est en grave manque de porno intéressant, militant, féministe, qu’on n’a pas grand chose de très moderne ou d’éthique. On parle pendant un long moment. Enfin… on se crie plus ou moins dans l’oreille pour réussir à s’entendre par dessus la musique. Il m’écoute avec attention, me raconte ses derniers projets, ceux à venir. Puis le silence s’est fait. Il m’a regardée, je l’ai regardé, on a détourné les yeux, gênés. Environ deux secondes après, nos regards se sont croisés à nouveau. On a souri bêtement et je me suis penchée vers lui…

Dans le Uber qui me ramène de chez lui au petit jour, j’ai un sourire plus grand que celui du chat dans Alice aux Pays des merveilles. Vex n’a pas manqué de me cuisiner le lendemain matin sur whatsapp et encore plus quand elle a vu ma tête, la même que Monica dans le premier épisode de Friends. Avec tout ça je sentais venir le trop plein d’émotion, comme à Berlin. Et c’est arrivé en sortant de la projection d’un documentaire que je tenais vraiment à voir, bien que j’avais plutôt envie de rester à glander avec tout le monde autour d’une énième bière. Je discutais avec Gérald et Benoît de l’équipe communication de la Fête du Slip, leur confiant ce que je ressentais à être ici avec tous ces gens. La gorge nouée je leur ai dit que j’étais si heureuse que des personnes organisent des événements comme celui-ci, où je me sentais enfin chez moi, libre, entourée, soutenue, écoutée, comprise. Bien sûr, j’ai pleuré, alors que l’après-midi touchait à sa fin.

J’ai eu le temps d’aller manger des frites au guacamole au McDonald’s avec Vex et Pandora avant la cérémonie de clôture. J’avais eu raison sur mes pronostics, Four Chambers a gagné un prix avec ma scène préférée. J’ai croisé Viviane, la directrice du festival, qui avait l’air épuisée mais rayonnante. On a traîné un peu dans le coin entre femmes, puis je suis allée boire un thé avec Parker, après quoi Vex et Pandora nous ont rejoint. On est dimanche soir, le week-end est en train de se terminer. Je bois une camomille avec trois personnes formidables. Intelligentes, cultivées, intéressantes, courageuses, belles. Les adieux sont difficiles. J’ai les larmes aux yeux en disant au revoir à Vex. Je n’ai aucune idée de quand je vais la revoir, ni elle, ni les autres. Je rentre encore super tard et je retombe sur le chauffeur Uber de la veille qui me reconnaît et me fait un grand sourire. Je dois avoir l’air mi-ravie, mi-triste et re mi-ravie derrière. Quand j’arrive à l’appart, au lieu de faire mes bagages je commence à trier les photos prises ce week-end. Je ne vais jamais réussir à dormir.

Le retour est une véritable catastrophe, il y a une tempête à Genève, une à Toulouse. Mon vol a trois heures de retard, tout le monde fait la gueule à la porte d’embarquement alors que moi j’ai envie de faire une chorégraphie sur Queen ou Lady Gaga en dansant sur les bancs en plastique de l’aéroport, malgré le manque de sommeil. J’ai beaucoup moins fait la fière à l’atterrissage à Blagnac dans les rafales, mais je suis arrivée saine et sauve. Heureuse, vivante, libre, épanouie.

Ce que je ne savais pas, c’est que ce sentiment allait très vite disparaître.

La suite au prochain épisode…

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14 réflexions sur “Journal d’une Camgirl #308 – Chocolat suisse et chili vegan

  1. Depuis que je te lis, j’ai l’impression que tu as trouvé ton univers.
    Que tu arrives de plus en plus à accepter ce que tu fais et qui tu es.
    ça fait bizarre de voir une fleur éclore, car à te lire on sent que ce ne sont que les prémices d’une nouvelle, belle et longue aventure.

    Après rédactrice-journaliste, camgirl, conférencière, actrice et réalisatrice de porno Il ne te reste plus qu’à organiser un festival dans la belle Ville Rose, non ?

    Aimé par 1 personne

  2. Je trouve bien dommage que tu glisse subtilement ton infidélité au milieu de ton récit .. Je pense que c’est déjà l’image que beaucoup de gens ont à tort des acteurs porno..

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    1. Bonjour ! Alors déjà il n’y a rien de subtil (c’est pas mon genre) et je suis plutôt en train de me la péter car j’ai couché avec un mec super beau. Et d’autre part, bien que cela me regarde moi seule et mon partenaire, la notion d’infidélité est propre à chaque couple. Et puis tu balances un cliché qui n’est pas si répandu, et plutôt faux en plus.

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  3. Bonjour à toi aussi !
    Je regrette que tu prenne mal mon commentaire, ce n’était pas mon but. Évidemment, je me suis dis en premier lieu que chaque couple avait sa propre notion de la fidélité, je suis 1000% d’accord. Mais là comme ce n’est pas dis clairement, on peut s’imaginer pleins de choses. Pour le coup je te trouve plutôt subtile, désolée 😅
    Hélas dans mon milieu, ces un cliché hyper répandue, je pense que tout dépend du cercle dans lequel on évolue.

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