Il était temps de se remettre un peu à la communication avec vous lecteur·ices de ce blog, et j’ai pensé naturel de vous laisser l’occasion de poser quelques questions. Peut-être que j’ai plus de connaissances sur le milieu maintenant, et que mes réponses seront plus pertinentes. Vos questions n’étaient pas toutes tendres en tout cas et assez nombreuses pour que j’aie de quoi faire un autre article prochainement.
Comment démarrer dans le porno dans de bonnes conditions ?
Cette question est sans aucun doute celle qui revient le plus souvent. J’en ai déjà parlé sur Twitter, et peut-être même ici. Je vais commencer par rappeler qu’il y a très peu de productions officielles de porno en France, et que les récentes actualités nous ont prouvé qu’elles n’étaient pas toutes recommandables. La raison est simple : à cause de la situation fiscale et politique, les sociétés ne produisent pas en France ou alors le font mais en étant basées à l’étranger (ce qui déjà en soi pose un souci), ou en s’arrangeant d’une manière ou d’une autre pour réduire les frais, les impôts, les salaires. Il y a donc peu d’opportunités fiables, peu de tournages, peu de castings.
Actuellement, avec l’évolution du secteur vers la production indépendante et l’apparition de plateformes comme OnlyFans, le mieux à mon sens est de commencer de chez soi. Aujourd’hui, avec un smartphone ou un appareil photo numérique de bonne qualité, il est assez simple de produire une vidéo soi-même ou des photos et de les mettre à disposition sur internet, soit gratuitement sur Pornhub, qui rémunère au nombre de vues, soit sur un site payant comme ManyVids ou d’autres plateformes du même type. Pourquoi ne pas se lancer aussi sur Chaturbate ? Commencer en tant que modèle webcam ne demande pas beaucoup de matériel, et permet de tâter le terrain et de voir comment on se sent face à des spectateurs. Cela demande d’être à l’aise pour discuter avec une audience, attention.
L’idée donc, pour démarrer, c’est de se faire un CV tout.e seul.e. De montrer qu’on a déjà été nu devant un public ou une caméra, qu’on a conscience du stigma et qu’on a tenté l’expérience. Par exemple, je ne travaille pas avec des hommes qui n’ont jamais tourné. De plus, pour avoir déjà collaboré par le passé avec des femmes qui n’avaient jamais fait de travail du sexe, je sais aujourd’hui que ce n’est pas quelque chose que je souhaite reproduire. Donc si vous voulez tourner dans un porno, il faut arriver en ayant une petite expérience, au moins.
Comment le porno est-il vu dans le milieu du cinéma ?
Mal. S’il est considéré. Le grand public, et les cinéphiles considèrent le porno comme un objet à part, uniquement commercial et/ou à but masturbatoire. Pour eux, ce n’est pas du cinéma. Le porno et les pornographes ont très mauvaise image. J’ai été plusieurs fois témoin de mépris venant de certain·es (ex-)réalisateur·ices de porno, donc je ne suis pas surprise. Je ne pense pas que ce soit prêt de changer.
Comment se passe un tournage quand on n’a pas envie de sexe ?
C’est une question complexe à laquelle je ne peux répondre que pour moi, évidemment. En tournage avec un·e autre performer·se, je vais avant tout rechercher une connexion avec la personne en face de moi. Qu’est-ce qui me plaît chez elle ? Qu’est que j’ai envie de faire, ou qu’elle me fasse ? Souvent, commencer par discuter se révèle utile. Rien que de parler de ce qu’on va faire peut être excitant. Ou bien se toucher gentiment les bras, les pieds, les jambes, le dos. Le contact physique, même s’il est non sexuel, aide beaucoup.
À noter que j’ai la chance de pouvoir choisir les personnes avec qui je tourne, et même si parfois il n’y a pas d’attirance physique ou sexuelle entre nous, ce sont toujours des personnes que j’apprécie, et personnellement, ça me suffit la plupart du temps.

Je trouve cela finalement plus dur de faire du contenu seule quand je n’ai pas d’envies ou de désir. J’ai déjà remarqué que cela peut se voir sur mon visage, que j’ai l’air moins intense quand je tourne sans envie (ce qui semble logique). C’est pourquoi je profite de mes périodes de forte libido pour tourner du contenu, pendant le pic hormonal par exemple, ou lorsque j’ai un crush / flirt qui m’inspire. Je puise dans mon propre imaginaire pour me motiver. Le souci est que les moments de désir deviennent des moments où on se sent obligé de travailler et donc de gâcher un instant qui pourrait être une source de plaisir personnel et intime, un moment tranquille rien quà soi.
Quel est le setup lumière que tu recommandes / que tu utilises (pour du solo par exemple) ?



Pff, je ne suis vraiment pas encore très bonne en lumière. Dès que je peux, je fais tout en lumière naturelle, mais c’est une très mauvaise idée pour la vidéo car elle change très vite, donc à part pour quelque chose dont vous êtes sûr·es que ça ne vous prendra pas plus d’une heure (et encore car : les nuages), je ne le recommande pas. J’ai personnellement un gros ring light avec un support pour smartphone qui m’aide bien, ainsi qu’un panneau LED RGB que j’adore et me permet de mettre des ambiances très différentes dans ce que je shoote.
Quel matériel utilises-tu pour le son ?
Alors : c’est le gros point noir de mes tournages sur lequel je souhaite beaucoup travailler cette année et dans les prochaines productions. J’utilise en général un micro directionnel Rode directement sur mes Sony (Alpha 7 II et III). J’ai testé aussi des enregistreurs numériques Zoom mais c’est évidemment plus de travail (préparation, synchro, montage, post production), et idéalement ça demande un·e perchiste le jour du tournage, donc plus de frais aussi.
Combien de temps dure un tournage ?
Pour Carré Rose Films, comme le budget est assez restreint, j’essaie de toujours maintenir les tournages à un laps de temps le plus court possible puisque je n’ai pas beaucoup de budget et que j’essaie de ne pas exploiter les gens (est-ce donc possible sous le capitalisme, me direz-vous ?). Idéalement une demie-journée, même si ce n’est pas toujours possible. « Détartrage » nous a pris 6 heures environ pause comprise, « Guacamole » moins de 4 heures.

Pour le sexe en public y a-t-il des autorisations à demander pour filmer ?
Hahaha ! Non. Il ne vaut mieux pas en faire du sexe en public, d’ailleurs, car il s’agit d’un délit (d’exhibition sexuelle si je ne me trompe pas). C’est aux risques et périls des personnes impliquées. Je suis en train de me renseigner sur ce sujet car j’avais une idée mais je pense qu’elle ne va pas être réalisable justement à cause de ça. Et puis je me vois mal demander une autorisation de tournage pour du porno en extérieur même uniquement pour les parties de comédie, donc pour les scènes de sexe haha, non.
Est-ce que créer du porno ne désenchante pas un peu de ses propres fantasmes ?
Je ne crois pas non. Au contraire, je trouve que cela ça ouvre le champ des possibles. On peut mettre en scène des choses, créer, et s’imaginer dans des scenarios dans lesquels on ne se serait pas projetés dans la vie réelle. Je puise d’ailleurs beaucoup dans mon propre imaginaire pour créer mes films, je m’inspire du monde qui m’entoure, et j’extrapole. Je vois des possibilités de sexe et de porno partout. Une recette de cuisine, un covoiturage, une visite d’un cimetière militaire…
Quelle est l’idée qui te vient en premier pour un film ? La situation, un moodboard, un performer ?
Hé bien ça dépend ! C’est un peu tout ça à la fois. Parfois c’est le performer. Par exemple c’est Nyx qui a été l’origine de « Détartrage » avec son split tongue, et cela parce que je me souvenais que Olly avait eu du succès avec le sien sur le tournage de « L’Annonce »… C’est Lina qui m’a inspirée pour « Guacamole » car je voulais faire un film avec une collègue mexicaine, et qu’en discutant ça semblait l’idée la plus naturelle.
Parfois, ce sont carrément des situations qui sont déjà arrivées (par exemple « Such a good friend » est une histoire vraie !), ou des choses que j’ai vécues dans ma vie personnelle qui m’ont donné une idée plus générique… Pourquoi pas du femdom et du pegging, pourquoi pas un film qui tacle le sujet de la différence d’âge dans un couple, pourquoi pas le sentiment de vieillir dans le milieu du TDS… au hasard hein !

Il peut aussi s’agir d’une photo que j’ai vue, d’un film que j’ai regardé. Récemment j’ai été très inspirée par la scène dans Romeo+Juliet ou DiCaprio est sous le drap avec le soleil qui entre par la fenêtre et j’ai noté l’impression dans un coin en me disant : « Tiens, ça pourrait être très beau à reproduire ».
J’ai aussi adoré les passages en noir et blanc dans le documentaire sur Michael Jordan et ça m’a donné envie de faire un film entièrement en noir et blanc cette année. Et puis je regarde beaucoup de porno surtout alternatif, un milieu où la créativité n’a pas de limites (je vais encore citer Four Chambers, vous avez l’habitude !). Ou une chanson de Céline D… *tousse*… heu de Dua Lipa, bien sûr. C’est très écléctique.
Est-ce aussi difficile pour un acteur que pour une actrice (pression sociale / relation familiales) ?
Ah non, tout est plus compliqué pour une femme. Encore plus dans le domaine de la sexualité et du porno. C’est le même trope que le Don Juan vs la Salope, mais en pire. Une femme subit plus de stigma, d’insultes, de harcèlement etc. Pire si elle est en couple, si elle est mère. Il faut énormément de courage pour être dans le milieu adulte en tant que femme.
Qu’est ce que les femmes françaises aiment dans le porn ?
Bonne question, il faudra leur demander. J’aime bien regarder les stats de Pornhub, mais bon c’est uniquement pour leur site donc on loupe l’avis d’une LARGE partie des femmes qui vont partout, sauf sur Pornhub.

(PS : « les femmes » ne sont pas une entité hétérogène, nous avons chacune nos goûts, nos envies, nos fantasmes. Ils ne peuvent pas être généralisés.)
Qu’est devenu·e « Untel·le » ? Pourquoi on ne voit plus « Bidule » et « Truc » ?
Vous me demandez souvent des nouvelles d’anciens performers qui ont disparu de vos écrans. D’une part je ne connais pas tout le monde personellement, et d’autre part s’ielles ont disparu c’est qu’ielles n’ont sans doute pas envie qu’on les retrouve… Depuis le début de mon court parcours dans le porno, il m’est déjà arrivé de perdre plusieurs connaissances de vue car elles ont tourné la page, sont reparties dans leur pays d’origine, ont repris les études, ont voulu changer de vie, avoir des enfants, se marier etc. C’est triste mais c’est ainsi. C’est surtout dommage car la plupart du temps ielles se coupent du milieu complètement et c’est très triste de perdre le contact, notamment avec des gens qu’on pensait être des amis.
Je ne sais pas moi-même ce que je ferai quand j’arrêterai et comment je le gèrerai, alors, je ne me permettrais pas de porter un jugement. C’est un métier très complexe, et avoir une image publique rend la chose encore plus difficile.
Bonjour, j’ai feuilleté votre blog pas tout, mais cela et très intéressant.
Ont voit bien que vous cherchez à vous rapprocher de la réalité.
Pour ma part cela me plait.
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