Je l’ai vu arriver du coin de l’œil. J’ai ressenti un mélange de soulagement et d’excitation. J’étais à peu près sûre qu’il venait pour moi, parce que c’était le dernier soir, parce que le festival était terminé, parce que je lui avais dit innocemment, en quittant le cinéma quelques heures auparavant que c’était « important de ne pas rater les occasions quand elles se présentent ». Ce n’était pas subtil, mais je crois qu’on n’avait pas le temps pour la subtilité.
J’ai prétendu être à l’aise. J’ai fait taire toutes les voix dans ma tête. Celles qui me complexent, celles qui me font la morale, celles qui pensent aux autres d’abord, celles qui me communiquent leur angoisse. Je nous ai directement commandé des shots de tequila sur un coup de tête, et je me suis entendue commencer une leçon sur la bonne façon de la boire et la marque qu’il fallait prendre. J’ai insisté sur mes origines mexicaines. Devant son incrédulité, j’ai montré ma pièce d’identité, pointant la ligne du lieu de naissance. Je lui ai dit qu’il fallait absolument qu’il goûte le mezcal, lui qui était amateur de whisky, que c’était un alcool avec des saveurs riches à découvrir, que déjà les bonnes tequila ont des arômes incroyables, selon l’élevage et… « Décidément, je peux jamais me taire, surtout quand je suis passionnée ! », lui ai-je dit m’excusant presque. Il m’a répondu que c’était cool, qu’il aimait bien les gens qui parlaient, tant que ce n’était pas dans un seul sens. On a conversé de tout et de rien, de la Picardie, du Nord, de Calais, d’Abbeville. Je le trouvais marrant et gentil. Sexy. Il avait une présence douce. Des yeux bleus très clairs.
Je me souviens qu’il y a eu un autre shot, une autre bière, qu’on a parlé d’argent, ou plutôt du fait qu’on n’en avait pas. J’ai compris en l’écoutant qu’il était en recherche de quelque chose, d’un projet. Il voudrait écrire, travailler sur des tournages. J’ai réalisé qu’il était plus jeune que je ne le pensais. Au détour d’une plaisanterie, je lui demandé sa date de naissance. Ah. Je n’osais plus dire mon âge à présent. Il a essayé de le deviner, visant presque juste, à ma grande surprise. Moi qui étais habituée à ce qu’on me donne 10 ans de moins, j’étais piquée. J’étais soudain ravie que l’éclairage du bar soit très mauvais, kitsch. Au moins mes (deux) premiers cheveux blancs étaient cachés. Mes rides aux coin des yeux aussi, espérais-je. Entre ça et la couche de maquillage spéciale que je réservais aux présentations en public, je me sentais à l’abri.
Il y a eu quelques discussions furtives avec les autres personnes présentes, mais tout le monde avait compris qu’on n’était pas disponibles pour eux, pas ce soir. Au bout de quelques temps, quelques plaisanteries, d’autres shots, on s’est retrouvés tous les deux. On est retournés dehors avec nos bières, pour qu’il puisse fumer. J’ai vu son regard changer. J’ai fixé sa bouche, sans le faire exprès. Il l’avait remarqué. J’ai esquissé un mouvement, que j’ai arrêté net. Une voix venait de me dire de demander d’abord. Celle-là je l’ai écoutée. « J’ai très envie de t’embrasser, je peux ? » Il a dit oui. C’était bon dès le premier contact. Sa bouche était chaude, sa langue était douce. J’ai eu tout de suite très envie de lui, et j’ai senti que c’était réciproque. On s’est embrassés pendant de longues minutes, allant un peu trop loin dans les caresses, du moins trop loin pour un lieu public classique. Mais dans ce bar, à ce moment précis, nous étions entourés de bienveillance, de liberté. Tout était permis, personne n’allait nous juger. Je me sentais apaisée et en sécurité.
J’ai glissé ma main sous son pull, caressant sa peau chaude. Il avait l’air d’apprécier l’audace. Il m’a dit à l’oreille « Il va peut-être falloir partir bientôt ». J’ai demandé s’il était loin, s’il vivait en coloc. Non, oui. Je me suis aventurée dans la ceinture de son jean trop grand, trouvant sa queue déjà bandée. Je l’ai serrée dans ma main, éprouvant la dureté de son érection. J’ai souri : « Ah oui, il va falloir rentrer. Vite. » Je suis allée trouver l’amie chez qui je dormais pour lui que j’allais partir avec le « mignon du cinéma » comme il était déjà surnommé. Elle m’a dit : « Bah enfin, tu peux l’amener chez nous, tu as ta chambre ! » J’avais du mal à m’y faire je crois. Vivre dans un monde où c’est normal de faire des rencontres, où c’est ok de ramener quelqu’un le soir, où on t’encourage et on t’aide à suivre tes envies. Je crois que ça me rassurait beaucoup de savoir que je pourrais être dans mon lit d’emprunt, chez des gens en qui j’ai confiance, avec ma brosse à dents et mon démaquillant. Je manque cruellement d’expérience avec les plans d’un soir. Combien j’en ai eu dans ma vie ? Un ? Peut-être deux ? Plus de dix ans de monogamie, ça ferme pas mal de portes, de ce côté-là. C’est à ça que je réfléchissais en attendant le taxi.
Est-ce qu’on continue de se rouler des pelles quitte à mettre le chauffeur mal à l’aise ? Est-ce qu’on fait semblant de discuter politique alors qu’on n’a qu’une envie c’est d’arracher les vêtements de l’autre pour goûter sa peau ? Il me semble me souvenir qu’on a tenté un peu les deux. Heureusement, le trajet était court. Arrivés à la maison, je lui ai fait faire le tour du propriétaire rapidement. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de visiter le donjon d’une domina dans un sous-sol d’une maison de banlieue. Depuis le début du week-end, je sentais sa curiosité de découvrir notre milieu, notre communauté.
On a fini par monter, tout en haut, sous les toits. On a recommencé à s’embrasser, à se déshabiller. Il sentait le cannabis. Il embrassait bien. Je pensais à mille choses à la seconde, comme toujours, mon cerveau était inarrêtable. Je comparais ses baisers à ceux de mon amoureux, à ceux de mon amant. Je me sentais coupable bien sûr, je n’arrivais toujours pas à me défaire, malgré les années, de la sensation d’être en train de le tromper. De les tromper ?
Il m’a enlevé mes bottes, mes résilles, mon harnais en cuir. Le costume de Carmina. J’ai passé ma robe par-dessus mes épaules. Il était assis sur le lit devant moi. J’étais nue maintenant. « Tu as vu mon nom sur ma carte d’identité tout à l’heure ? » Il a secoué la tête. Dans cet instant d’intimité, je ne voulais pas prétendre être quelqu’un d’autre. Je ne voulais pas de la distance que le pseudonyme est là pour créer. Je lui ai dit mon prénom. Il a répondu « Enchanté ! » en me souriant. Je me suis penchée sur lui pour l’embrasser. Maintenant, on pouvait vraiment y aller.
Entre l’alcool, la fatigue et l’euphorie du moment, je ne revois que des bribes de tout ce qu’on a fait. Il m’a léchée avec envie, spontanément. J’ai sucé sa queue épaisse et dure pendant longtemps, m’arrêtant juste pour ne pas le faire jouir. Je voulais vraiment qu’il me baise. Il a sorti des capotes sur mesure, mon sourcil s’est levé. Il m’a prise en silence, un peu parce qu’on ne voulait pas faire de bruit pour mes hôtes dormant à l’étage en-dessous, mais aussi parce qu’il était très concentré. Le lit n’arrêtait pas de bouger et de taper sur le mur. Dommage pour la discrétion. J’avais envie de continuer, de recommencer, mais il était déjà tellement tard… Je sentais les forces me quitter. On s’est allongés, essoufflés, à demi-rassasiés. J’espérais pouvoir reprendre après quelques heures de sommeil, quand le soleil insolent du printemps nous réveillerait.
« Au fait… » Je me suis retournée vers lui sur l’oreiller et je lui ai dit mon année de naissance exacte. Il a souri : « Ah j’étais pas loin ! ». Puis j’ai calé mon corps près du sien. Il a passé son bras autour de moi. On s’est endormis.
c’est bon de vous retrouver Carmina !
Il y avait longtemps !
Merci ! bise.
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