Précédemment dans le journal d’une camgirl : je rentre de La Fête du Slip à Lausanne, où le week-end a été tout bonnement incroyable. Mais l’atterrissage a été très difficile au propre comme au figuré.
J’ai pas eu le temps de dire ouf. J’étais euphorique, sur un petit nuage après le week-end incroyable que j’ai passé à Lausanne. Je prends une énorme claque en rentrant en France. Quand j’ouvre mon Facebook à l’aéroport déjà, je vois plein de messages de ma mère qui a essayé de me joindre depuis jeudi en vain : « Tu es où, j’ai appelé chez toi et apparemment t’es en voyage ? Tu m’avais pas dit ! Tu fais quoi, t’es avec qui ? Si ça va pas entre vous tu peux me le dire… » Oh là là… Après ça, j’ose même plus regarder les mails du boulot qui s’empilent tranquillement. Sans même parler du retard sur le blog et ce que je voudrais écrire pour le Tag !
Et puis, en retrouvant mon copain, je prends une énorme claque. Je mourais d’envie de lui raconter tout mon week-end dans les détails, mais c’est pas du tout le moment en fait. Je me rends compte au fur et à mesure de la journée qu’il est dans une humeur totalement inverse à la mienne. Il est dans une période chargée et compliquée, il a besoin de moi et j’ai rien vu. Forcément, je suis toujours partie… à Paris, à Berlin, dans ma famille dans le nord et là je rentre de Suisse. J’ai pas défait mes valises depuis des semaines et entre les fêtes de fin d’année, les partiels, les déplacements je n’ai eu le temps de rien.
Il a pris sur lui tout le temps où j’étais occupée ou débordée ou partie. Il a tout géré. Le chat qu’on gardait pour une copine, les courses, le ménage, les factures, son travail… Non seulement il me soutient toujours mais là aujourd’hui en plus il s’inquiète pour moi. Le fameux mail que j’ai écrit à mes parents sans l’envoyer n’a pas aidé. Il est paniqué à l’idée que ça puisse me créer des ennuis et ça l’a travaillé pendant que j’étais en Suisse. Stop. Boulot ou pas, projets ou pas, c’est à mon tour de m’occuper de lui pour qu’il puisse gérer ses projets.
J’ai rattrapé des semaines de paperasses et de cours qui s’amoncelaient, fait des heures de ménage, replié toute la lingerie et rangé les sextoys qui traînaient dans l’appart. J’ai pris un jour de congé, j’ai annulé des shows privés et une sortie prévue entre copines. J’ai fait les courses pour pouvoir cuisiner des trucs sympa pour nous deux. On a été au cinéma, on s’est posés pour discuter, on a brunché, on a pris le temps. Pendant 2 ou 3 jours, je ne me suis consacrée qu’à lui. Et puis, alors qu’il avait un rendez-vous important au boulot, j’ai profité de son absence pour faire quelque chose que j’aurais dû faire depuis longtemps déjà.
Je me suis assise par terre dans le salon. J’ai respiré un bon coup. J’avais les mains qui tremblaient un peu. Finalement, j’ai pris mon téléphone et j’ai composé le numéro de mes parents.
J’espère que vous avez un peu de temps devant vous, parce que j’ai plein de trucs à vous dire. Je vous préviens ça va être long et ça va pas vous plaire, mais c’est important.
J’ai parlé pendant pratiquement une heure sans discontinuer. Je leur ai expliqué comment j’avais découvert Le Tag Parfait en 2011, puis réuni assez de courage enfin deux ans plus tard pour leur envoyer mon premier article. Que ça avait marché et que j’avais continué. Que j’avais voulu faire de la photo nue, donc j’avais demandé à Monsieur Bazin de poser pour lui. Puis que j’avais essayé la webcam pour en faire un reportage et qu’en fait, j’avais découvert un truc dingue où il y se passait tellement de choses que j’ai commencé un blog. Que les gens l’ont aimé et m’ont demandé la suite. Puis que des journalistes avaient commencé à me contacter et que tout s’était enchainé. Que j’étais en train de travailler sur un documentaire. Et même qu’hier j’avais reçu une demande d’un studio de production de cinéma pour faire du consulting sur un film qui va parler de camgirls. Que j’étais contente et fière de faire ce que je faisais. Que j’aimais évoluer dans ce monde où je me sens si bien, et que je continuais à faire de la photo, de la webcam. J’ai terminé en disant que là, carrément, on m’invitait à prendre la parole à Sciences-Po Paris sur la pornographie.
Ils m’ont écouté sans broncher, m’ont posé deux ou trois questions. Ils ont l’air de comprendre le côté intellectuel de ma démarche, l’écriture, le journalisme, mais ils ne comprennent pas l’exhibition. Ils pensent que j’ai tort de me montrer nue, que je devrais pas me sentir obligée de continuer maintenant que j’avais fait l’expérience. Je leur ai dit que j’avais l’intention de continuer et pourquoi pas d’aller plus loin. Ils sont sonnés, mais, ça va. Je leur ai dit que j’étais disponible pour toutes leurs questions, mais surtout de ne pas aller me chercher sur Google pour ne pas voir des choses qu’ils n’aimeraient pas. Je sens que ma mère est profondément triste mais je m’en doutais. De mon côté je ressens un soulagement intense. Ils savent tout maintenant.
Quand mon copain est rentré de son rendez-vous je lui ai dit que je venais de faire mon coming-out de travailleuse du sexe camgirl / journaliste dans le porno à mes parents et que ça allait. Ils n’avaient pas l’air de me détester et ils n’étaient pas fâchés. On respire.
Je lui ai proposé d’annuler la conférence à Sciences-Po, qui me faisait reprendre la route dans même pas deux jours, pour rester avec lui. Il a refusé, me disant que c’était important et que je devais le faire. Du coup je reprends petit à petit le cours de mes activités. Je prends le temps de faire quelques heures de live avant de partir.
J’ai envoyé un mail à Pandora, Vex et Parker pour les remercier de m’avoir accueillie et leur dire que j’étais là s’ils avaient besoin de quoi que ce soit. Bien entendu, je ne fais que repenser au week-end dernier maintenant que la situation revient à la normale à la maison. Je me remémore la conversation avec Parker où j’ai dit des choses que je ne savais même pas que j’avais en moi, comme quoi j’avais envie de faire des choses dans le porno, d’être une voix française pour porter un nouveau souffle dans ce milieu. Et je réalise que j’ai même glissé à mes parents que je n’excluais pas de me lancer, que ce soit devant ou derrière la caméra. À vrai dire, ça m’étonne, je ne sais même pas si j’en serais capable.
De toutes façons je n’ai pas le temps d’y penser car maintenant que la conférence à Sciences Po approche, je panique à l’idée de devoir prendre la parole dans un cadre aussi intellectuel. Les deux intervenants ont un niveau académique qui m’impressionne énormément et une connaissance de la pornographie bien supérieure à la mienne.
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Heureusement, tout le monde a l’air de croire que je vais y arriver, ce qui m’aide vraiment beaucoup. Je reçois un soutien incroyable sur Internet et parmi mes amis. Fred de la Revue Far Ouest va venir avec moi afin de commencer les tournages pour le documentaire sur le webcam. Il va en profiter pour me filmer à la conférence. Pour l’instant on a travaillé sur la trame du documentaire et on a déjà tourné un petit teaser qui va servir de présentation pour notre projet. On a pris des rendez-vous pour interviewer des personnes proches du milieu du porno, de la sexualité et du rapport d’Internet avec tout ça. J’ai hâte de m’y mettre.
Je fais le point dans ma tête, assise dans le train pour Paris. On est le 11 mars, je suis rentrée de Suisse depuis 5 jours seulement et il s’est passé tellement de choses déjà, que j’ai l’impression que ça fait 3 semaines. Je repense encore et toujours à ce que Parker m’a dit autour du thé quand j’ai plaisanté sur le fait que j’allais faire des jalouses à Paris après l’avoir rencontré. Il a ri et il a dit : « Tu sais, ça ferait une super idée de vidéo qu’on pourrait faire. Toi, moi et des filles qui feraient tes copines jalouses… »
J’ai pris mon téléphone et j’ai tapé un message.
J’ai hésité pendant une bonne heure devant Whatsapp en regardant le paysage dérouler devant mes yeux.
Et puis, finalement, j’ai appuyé sur envoyer.
J’ai beaucoup réfléchi et je pense que je suis prête à être performeuse et/ou a créer du contenu. J’ai fait mon coming-out à mes parents et ils ne sont pas aussi fâchés que je l’aurais cru (même s’ils ne sont pas ravis, mais bon).
Je ne sais pas si tu le pensais vraiment mais j’aimerais vraiment discuter de tout ça et pourquoi pas travailler avec toi.
Wow. OK. On dirait bien que je viens de me lancer dans le monde du porn.
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