Précédemment dans le journal d’une camgirl : j’ai enfin trouvé l’inspiration pour écrire mon premier film, ainsi que la voie vers laquelle je veux emmener mon porno.
J’ai envoyé mon moodboard à Parker, il m’a posé plein de questions, hyper pro et précises. Mon syndrome de l’imposteur est plus fort que jamais, mais j’avance.
Je suis un peu rassurée par les premiers tests de vidéo. On a passé une après-midi avec Barth à faire des tests d’image, d’objectifs et de micro pour que je puisse mieux comprendre le fonctionnement de mon matériel dans des conditions approchant celles que je rencontrerai à Berlin. On en a profité pour faire une séance photo, malgré mon sentiment de mal-être vis à vis de mon corps en ce moment. J’ai « l’habitude » mais clairement c’est pas le moment d’être complexée.
Je réalise que le sentiment qui est le plus difficile à faire partir est celui que je ressens vis à vis de mon physique. En fait, je panique pas du tout parce que je vais tourner un porno, mais pour mes complexes. J’ai beau être devant une caméra depuis 3 ans, je suis toujours ultra complexée… ça va, ça vient, mais c’est incontrôlable. Il y a 6 semaines à Paris je me trouvais canon, là, je sais pas…
Je me regarde dans le miroir et je découvre plein de choses. J’ai des marques et des traces partout. Mes cheveux sont dans un état pas possible. J’ai pas fait mes ongles depuis des semaines… Pas que je sois à cheval sur tout ça, non clairement, mais là, on va me filmer, de près, sous tous les angles. Tout va se voir. Ce gros bleu sur le genou parce que je suis maladroite, cette cicatrice de quand j’étais petite, la grosse griffure du chat de Laé qui a glissé sur ma cuisse. Les piqures de moustique partout sur mes bras. C’est pas grave en soi, je pense. Mais je me souviens des mots de Parker, qui m’avait de faire attention de ne pas lui faire de griffures quand on avait passé la nuit ensemble. « Je tourne la semaine prochaine. Les marques, ça raconte une histoire, et cette histoire là ce n’est peut-être pas celle que le réalisateur aura envie de raconter dans son film. » Je crois que c’est à ce moment-là, devant le miroir, que ça m’a frappé. Mon corps, c’est mon outil de travail. Et là, j’ai un outil de travail qui n’est pas optimisé pour le tournage. J’ai 15 jours pour remédier à ça.
Hasard du calendrier, je vais chez mes parents, en Espagne. Je pense que ça tombe à pic.

J’ai enfin le temps de m’occuper de moi. Je bouquine, sans cacher ce que je lis à mes parents. Mon père fronce les sourcils quand même. J’ai pris rendez-vous chez le coiffeur, chez l’esthéticienne. Je suis pas seule, ni physiquement, ni moralement.
J’avais eu du soutien de Viviane quand on s’est vues le mois dernier et depuis par message et conversations virtuelles. Et Pandora m’a appelée pour en discuter. Elle* a une grosse expérience du porno, elle a déjà tourné plusieurs fois avec Parker. C’est super de pouvoir vraiment parler avec quelqu’un. Là pour le coup je me suis cachée et j’ai essayé de me mettre loin de mes parents car je n’ai pas envie qu’ils entendent notre conversation. J’ai aussi skypé Paulita, on a longuement discuté également. Mais c’est dur. Je vais aller à Berlin toute seule. Je sais pas ce que je fous.
Bien entendu, le rendez-vous chez le coiffeur s’est mal passé. Elle a pas du tout fait ce que je lui ai demandé. Je ressors archi blonde alors que je voulais pas ça du tout ? à J-7 bordel… En rentrant à Toulouse, je fouille mes tiroirs à la recherche d’un pot de teinture rose. C’était pas prévu, mais là, non. Je ressemble pas du tout à ce que je voulais. Et puis je suis bien bronzée, la couleur va ressortir, et je me sentirai mieux avec les cheveux roses, comme si j’étais plus dans le personnage. Je suis Carmina, la spécialiste du porno. La veille du départ, le prépare toutes mes affaires, ma valise est prête. J’ai fait mes ongles, j’ai vérifié ma check list, mes papiers, mon billet.

Le dernier soir, je me rends à l’anniversaire de mariage d’un couple d’amis. C’est une soirée déguisée et karaoké donc autant dire que je peux me lâcher. Je reste pas trop tard cependant.
Quand les gens me demandent pourquoi je rentre si tôt, je réponds simplement : « Parce que demain je pars à Berlin de bonne heure… Je vais tourner mon premier porno ! »
Épilogue de la saison 4 (bientôt)
*NB : ce texte a été écrit avant le coming out genderqueer de Pandora/Blake.
Une réflexion sur “Journal d'une camgirl #408 – Mon corps, mon outil”